
Cornwall, dans le sud ouest de l'Angleterre. Cette région pittoresque a inspiré de nombreux écrivains à travers les siècles. Chrissie de Rivaz est l'une d'elles. Elle est connue outre-manche pour ses romans d'amour. Elle habite dans une maison confortable perchée au sommet des falaises avec son mari et ses deux chiens. Chaque jour elle sort se promener et profiter de la vue imprenable sur l'océan. Cela lui rappelle que la vie est trop courte. « J'ai la soixantaine et il y a tellement de choses que j'ai encore envie de faire », explique-t-elle.
Chrissie adore la science-fiction. « Je me demande de quoi l'avenir sera fait. Peut être que dans le futur, on pourra voyager dans l'espace. Je ne peux m'imaginer quelque chose de plus passionnant que de visiter d'autres planètes !» Pour avoir une chance de vivre cela, Chrissie a décidé de se faire congeler une fois morte.
Plus d'une centaine de corps congelés
La cryogénisation continue de faire rêver. Le corps de Chrissie sera conservé dans de l'azote liquide à –196 degrés, dans l'espoir qu'un jour, dans très longtemps, la technologie aura fait assez de progrès pour la décongeler et la ressusciter. Elle n'est pas seule. Déjà un millier de personnes dans le monde sont inscrites pour être cryogéniseés. Parmi elles, il y a des familles entières. Et aux Etats-Unis, près de 150 corps attendent le dégèle dans d'énormes cuves. Certains ont opté pour se faire congeler la tête uniquement, pensant que la médecine future pourra reconstituer un corps à partir de leur cerveau.
Les adeptes de la cryogénisation n'ont, bien sûr, pas encore trouvé le moyen de les ressusciter. Mais ils comptent beaucoup sur les applications médicales potentielles de la nanotechnologie, une technique qui permet des manipulations au niveau de l'atome. Selon eux, cette technologie pourrait les guérir de ce qui aura causé leur mort et régénérer leurs cellules. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils considèrent leurs compères congelés comme des « patients », simplement « dé-animés » plutôt que morts.
Une science plutôt qu'une croyance
Chrissie sait qu'il n'y a aucune garantie que ça marchera un jour. Mais elle est persuadée qu'elle n'a rien à perdre en essayant la cryogénisation « Ce serait ridicule de dire que cela ne pourra jamais se passer. Je me souviens, dans les années 60, les transplantations cardiaques étaient considérées comme impossibles », observe-t-elle. « Maintenant c'est une opération presque banale. » Pour ses adeptes, la cryogénisation est une science, et non une croyance.
Leur approche est pragmatique. Chrissie, son mari et leurs amis qui vont se faire cryogéniser ont pensé à tout pour être congelé dans les meilleures conditions. Ils portent un bracelet ou un collier qui décrit les « premiers soins » en cas de mort subite ou accidentelle. « Ne pas autopsier, ne pas embaumer, injecter 40 000 unités d'Heparin IV (un puissant anticoagulant)». Un adepte anglais a même fait plus fort. Il a transformé une caravane dans une sorte d'ambulance, entièrement équipée pour refroidir les clients aussi rapidement que possible. Après cela, le corps est envoyé aux Etats-Unis, où le sang du patient est remplacé par un antigel pour protéger les cellules des ravages causés par la glace. La toxicité du produit cause d'autres problèmes, mais là encore, les adeptes sont persuadés que la médecine pourra les solutionner.
Des scientifiques y croient
Parmi ceux qui vont se faire cryogéniser, il y a même des scientifiques de renom. Le docteur Aubrey de Grey, chercheur à l'université de Cambridge, prévoit de se faire congeler la tête une fois mort. « Il y a beaucoup de scientifiques qui pensent secrètement que la cryogénisation a de bonnes chances de marcher », assure-t-il. « Mais la plupart n'osent pas l'avouer parce qu'ils sentent que l'attitude du public est tellement sceptique que cela pourrait nuire à leur réputation. »
Pour le docteur de Grey, spécialiste en bio-gérontologie, des preuves scientifiques en faveur de la cryogénisation existent. « Il y a des gens qui sont tombés dans de l'eau glacée de telle sorte que leur coeur et leur cerveau ont arrêté de battre pendant une heure au moins. Malgré cela, ils ont été ranimés et ils n'ont eu aucune séquelle. Leur mémoire, leur personnalité et leur identité ont été préservés. »
Demain, l'homme pourra vivre 1000 ans
Le docteur Aubrey de Grey n'est pas un farfelu. Avec sa barbe interminable et ses idées révolutionnaires, il est une star internationale. Il a fait la couverture de la revue du Massachusetts Institute of Technology. Ses théories ont fait un tel scandale que Technology Review a lancé un concours pour tout scientifique qui pourra les discréditer. Car il apparaît qu'aucun jusqu'à maintenant n'a pu -ou voulu- le faire. Enjeu : 20 000 dollars, dont la moitié provient de la fondation du Dr de Grey, puisqu'il sait que le concours lui fera de la publicité.
La théorie à réfuter, c'est que selon le Dr de Grey, l'homme du futur pourra vivre 1000 ans, ou même plus. Il clame haut et fort qu'il a identifié les causes du vieillissement cellulaire et propose des remèdes pour les rajeunir. « Une fois que ces techniques fonctionneront, nous ne mourrons plus de vieillesse. Ce qui veut dire que nous devrons évier de mourir d'autres choses, comme les virus, les accidents ou les guerres. Et vu le risque actuel très faible de mourir de ces causes là, on peut calculer notre espérance de vie, qui sera d'environ 1000 ans. »
Et l'âme dans tout ça?
Reste à démontrer cette utopie. Aubrey de Grey a donc organisé un concours doté de 3 millions de dollars pour encourager les scientifiques. La récompense ira à ceux qui pourront prolonger la vie d'une souris de laboratoire au-delà du record actuel, et même la rajeunir.
Le chercheur de Cambridge se prend-il pour Dieu ? Il s'en défend. « En essayant de prolonger nos vie, nous essayons d'éliminer une cause de douleur et de mort (ndlr : la vieillesse). Et Dieu attend de nous que nous éliminions la douleur. » Pour Chrissie non plus, sa démarche n'a rien d'un sacrilège. « La cryogénisation n'empêche pas d'être croyant. Que je sois incinérée, enterrée ou congelée ne changera rien au destin de mon âme. » S'il y a une vie après la mort, Chrissie entend bien en profiter de toute façon.
L'immortalité a son prix
Tout cela a un prix bien sûr. Chrissie paie 30 000 dollars pour être congelée à l'Institut de Cryogénisation. Chez Alcor, c'est même plus cher : 150 000 dollars pour tout le corps, ou 80 000 de dollars juste pour la tête. Les adeptes de la cryogénisation sont des gens pratiques. Pour être sûr de ne manquer de rien dans leur seconde vie, il y a même des millionnaires qui se lèguent leur fortune à eux même, grâce à une fondation au Lichtenstein. Leur argent est en sécurité : c'est l'UBS à Zurich qui le gère. La cryogénisation ne marchera peut être jamais. Mais une fois congelés Chrissie et son mari n'en sauront rien.
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